Chapitre I : Mythes et souvenir
Paéser attendait son père parti dans le palais impérial de Azaquyar, la capitale, il y a de ça un moment. La jeune fille attendait son père, capitaine du Redoutable, une galère spécialisée dans l’extermination des serpents de mer.
La jolie fille de dix-huit étés avait un joli visage, qui charmait nombre d’hommes. Ses yeux verts étaient profonds, et sa chevelure d’une couleur bronze. Sa bouche fine surmontée par un mignon petit nez faisait l’essentiel de son charme.
Paéser était une fille impatiente, mais elle était joyeuse et riait beaucoup. Elle adorait naviguer, également. Elle naviguait avec son père. Mais il y a une chose qu’elle détestait par-dessus tout :
Que les hommes la jugent par la taille de sa poitrine. Ceux qui lançaient un regard un peu trop bas se faisaient aussitôt châtier par la jeune femme. Ceux qui avaient prit leur raclée n’en redemandaient pas.
Elle continuait à attendre Ulek, son père.
« Mais que fait-il ? », pensa t-elle.
*
L’empereur Yeldir attendait un grand capitaine, le capitaine Ulek. Cet homme l’avait servi maintes et maintes fois, et lui l’avait payé en retour. Cet exterminateur de serpent était vraiment très doué.
On exterminait les serpents car ils attaquaient les navires et dévoraient leur équipage. Les bateaux marchands faisaient partie des victimes, ce qui pouvait complètement geler l’économie d’Owtem.
Pendant qu’il réfléchissait, Ulek entra, passant devant les gardes. Yeldir ne pût s’empêcher de frissonner, comme à chaque fois qu’il voyait l’homme. Il était étrange, et singulièrement effrayant.
Ulek avait le visage et les mains couverts de bandages. De son masque, on ne voyait que son œil gauche, doré comme celui d’un serpent, qui vous fixait, et une cicatrice accompagnait l’œil, au dessus et en dessous. Ce regard n’était pas méchant, mais provoquait la peur chez quiconque fixait le capitaine trop longtemps ; sauf peut-être son équipage et sa fille. Ulek pratiquait une magie ancestrale inconnue des hommes de nos jours, et, étrangement, ne parlait jamais autrement que par télépathie. Cela intriguait fortement l’empereur, qui se demandait pour quelle raison Ulek ne parlait jamais.
«
Empereur Yeldir, commença Ulek,
je viens recevoir ma paie des deux derniers mois.– Combien de serpents avez-vous abattu ?
–
Pas moins de quatorze. »
Yeldir était sidéré, comme à chaque fois qu’Ulek venait lui annoncer le nombre de serpents tués. Quatorze en deux mois ! Certains navires passaient rien qu’un mois à traquer un serpent, et une demi-journée pour le tuer !
« Bien, Capitaine Ulek. Vous recevrez votre paie dans les jours à venir.
–
Je vous remercie, mon Empereur. »
Et Ulek quitta la salle du trône.
*
Paéser vit son père s’approcher.
« Papa, tu as été long, se plaint Paéser.
–
Oui, oui, je sais, répondit son père, je me suis perdu dans les couloirs du palais.– Comme d’habitude… » Fit-elle avec une pointe d’ironie.
Ils commencèrent à marcher côte à côte dans les rues d’Azaquyar.
«
Paéser, je vais partir un petit moment en ville, vendre le butin.– Tu me dis ça à chaque fois qu’on est à terre… Je le sais quand même, maintenant !
–
Oui, mais bon… »
Ulek ramassait la peau, les crocs et autres petites choses sur les serpents tués, qu’il revendait ensuite aux marchands qui en avaient besoin.
Le capitaine s’en alla, laissant Paéser seule. Elle décida d’aller à la bibliothèque. Elle se posait des questions sur l’origine des serpents que tuait son père…
*
Paéser avait feuilleté nombre de livres parlant des serpents, mais aucun ne s’attardait beaucoup sur leur origine. La rumeur voulait qu’ils soient originaires de l’Île aux Serpents, elle-même entourée des Récifs Sans Retour, ce qui la rendait inaccessible… Par bateau.
Un bateau aurait la coque fracassée sur ces récifs, mais un serpent de mer…
La seule chose intéressante qu’elle ait trouvée, c’est un vieux proverbe qui disait :
La nageoire deviendra membre lorsque rouge sera la mer.
Paéser ne comprenait pas la signification de ce proverbe… De cette énigme, plutôt !
*
Ulek, après avoir vendu les écailles, les crocs et les yeux des serpents à nombres de marchands et à bon prix, revint au bateau.
En fait, c’était très intelligent. Il payait l’équipage avec l’argent qu’il avait gagné en vendant ce qui restait des serpents – Et les matelots savaient que ça se vendait cher en recevant une paie bien grasse.
Et Ulek, lui, gardait toute la paie de l’Empereur Yeldir. Ca arrangeait tout le monde, les matelots comme le capitaine.
Ulek regarda son bateau. Le Redoutable était une galère de guerre à trois mâts, un principal pour deux secondaires, et qui possédait quatre voiles : Une carrée sur chaque mât, et une triangulaire à l’avant, rattachée au premier mât et à la poupe. Le nombre de voiles compensait le poids du bateau, très grand à cause de l’artillerie à bord, dont des arbalètes géantes lanceuses de lances et des petites catapultes. On trouvait diverses armes à bord. Le bateau avait aussi des rames, ramenée à l’intérieur du navire.
« Hey, capitaine ! »
Ulek n’avait pas spécialement envie de voir Etart. Ce n’était pas qu’il n’aimait pas son second, mais… Ses « hey » donnaient franchement mal à la tête. Etart débitait au moins quinze « hey » à la minute.
Les ténèbres des yeux noirs d’Etart et la lumière de ses cheveux blonds semblaient contradictoires. La peau d’Etart était marron, contrairement aux hommes du coin. Ulek l’avait embauché en tant que second à l’île Nacilep, au port de la ville de Napikeb, il y a de ça quatorze ans. Depuis, Etart n’avait pas quitté le bateau.
Il y a quatorze ans, une année funeste…
Ulek cessa de penser à cela et concentra son attention sur le présent.
« Hey, cap’taine, vous savez que Paéser est pas encore rentrée ?
–
Oui, je sais.– Hey, mais c’est grave ! »
Deux « hey » en moins de dix secondes. Etart était vraiment en forme.
«
Vous savez, Paéser est une jeune femme à présent, elle sait se débrouiller seule, rétorqua simplement Ulek.
– Mais elle peut se faire attaquer, hey ! On fera quoi si elle se fait attaquer par des voleurs ?
–
Il n’y pas de voleurs à Azaquyar, Etart.– Hey, et qu’est ce qui vous fait dire ça, cap’taine ?
–
Les gardes municipaux qui patrouillent jour et nuit dans toutes les rues de la ville.– Heu… Hey, vous avez pas tort, cap’taine.
–
Allez, va, retourne à ton poste.– Hey, c’est comme si c’était fait, cap’taine ! »
Ouf, l’avalanche de « hey » était terminée. Six « hey » en trente seconde… Le mal de crâne s’installe lentement et perfidement dans la tête d’Ulek.
*
Paéser, comme à chaque fois qu’elle était seule, réfléchissait à une période qu’elle avait oubliée. Elle n’avait absolument aucun souvenir de ses quatre ans. Son père lui répétait maintes fois que c’était normal, mais la fille trouvait ça étrange.
Elle marchait seule dans la rue, lorsque soudain, elle s’écroula.
*
Un navire vogue sur la mer, pleine d’écume à cause d’un serpent qui nage non loin. L’équipage est prêt à combattre, le capitaine aussi.
Une petite fille regarde le spectacle, entre l’émerveillement et la peur.*
« Mademoiselle ? Est-ce que ça va ? »
Paéser rouvrit les yeux et revint à elle. Un garde la regardait d’un drôle d’air.
« – Pourquoi ça ne devrait pas aller ?
– Je vous ai vu vous évanouir pendant que vous marchiez… Vous êtes sûre que tout va bien ?
– Ca va aller, merci. »
Le garde tendit la main à Paéser pour l’aider à se relever, mais elle préféra se lever seule.
L’adolescente partit en direction du navire de son père.